lundi 4 mai 2015

Ecriture : "Une photo, quelques mots" #174



Atelier d'écriture organisé par Leiloona sur son blog.
Avec un énorme retard, voici enfin mon texte.

© Julien Ribot
© Julien Ribot


Titre : Le garçon mystérieux.


Djibril était un beau garçon, élancé à la démarche féline, souple, qui ne passait pas inaperçu. Quand son regard sombre se posait sur vous, il était difficile de l’oublier. Âgé de dix neuf ans il apprenait la menuiserie dans un lycée professionnel du XIXème arrondissement de Paris, classé en zone sensible. Ayant échoué le Bac l’an passé, il redoublait sa terminale. C’était pourtant un jeune homme très intelligent, mais si taciturne et solitaire. Souvent il se réfugiait dans un silence pesant ou répondait en italien aux questions qu’on lui posait alors qu’il maîtrisait parfaitement le français ; cette manière de procéder eut vite fait d’éloigner de lui tout interlocuteur potentiel. Djibril qui pouvait faire en de rares occasions un sourire éblouissant, était le plus souvent sujet à des accès de colère souvent en disproportion avec les raisons qui semblaient les déclencher. Ses camarades de classe avaient baissé les bras et le fuyaient sans chercher à mieux le connaître, mais lui semblait se complaire de cette situation. Il était en difficulté scolaire alors qu’il n’aurait pas dû l’être. Seule la conseillère d’orientation qui soupçonnait chez lui une personnalité exceptionnelle et sensible et croyait en ses capacités le défendait au sein de l’établissement.


En fin du premier trimestre, une opportunité se présenta. Un important centre de lutherie situé à Cremone en Italie recherchait pour un échange d’apprenti un jeune pour une formation de trois ans. Le chef d’établissement sauta sur l’occasion pour choisir Djibril pour cet échange en s’appuyant sur une confidence que ce dernier lui avait faite, lors d’un rare moment d’échange, en lui révélant son amour pour la musique du XVIIè siècle. Après un simulacre de concertation avec son personnel enseignant il décida que Djibril était retenu pour cet échange. En réalité, seule la conseillère d’orientation était sûre que ce mode d’apprentissage conviendrait mieux à la personnalité de son protégé et s’engagea à l’aider sur cette nouvelle voie tandis que les autres ne voyaient qu’un bon moyen de l’éloigner désormais de cet établissement. A leur grand étonnement, Djibril accepta la proposition sans sourciller et sans trop d’enthousiasme non plus.


Deux mois après, voilà Djibril en route pour l’Italie. Assis dans le train, des doutes l’envahirent et une angoisse s’empara de lui. Ne ferait-il pas mieux de descendre au prochain arrêt et de retourner à son ancienne vie. La vision de ses camarades de classe et de ses professeurs au sourire narquois s’imposa à son esprit et le contraignit à mettre fin à cette idée saugrenue. Désormais, il irait jusqu’au bout. Cette entreprise avait à cœur de former de jeunes apprentis, et de leur transmettre un savoir faire peu commun de nos jours. Djibril aimait le travail manuel, était créatif et avait montré une grande motivation en disant au proviseur son envie de s’en sortir. Nourri et logé, il n’avait plus qu’à s’investir pleinement dans cette nouvelle vie, le rythme serait intense et les examens tous les trois mois seraient difficiles, un jury déciderait chaque fois s’il continuait ou s’il retournait à son lycée d’origine. Mais qu’importe ! Il fallait aller de l’avant maintenant.


Toujours peu loquace, Djibril prit son poste l’air taciturne, comme à l’accoutumée, tous les sens en éveil. Il eut pour tuteur Monsieur Paolino, le plus ancien ouvrier de la lutherie, bonhomme joufflu à l’air bourru, peu loquace lui aussi mais avec un savoir-faire et une efficacité redoutable. Après une quinzaine de jours d’adaptation difficile où l’un jaugeait l’autre sans en avoir l’air, Monsieur Paolino et Djibril se comprirent, ils n’avaient plus besoin de langage, un regard ou un geste suffisait. Ce nouvel apprenti avait une soif de savoir, ne rechignait pas à la tâche et travaillait avec entrain. Il devenait autre, Mr Paolino avait même saisi une petite lueur de joie qui pétillait parfois dans ses yeux sombres. Ah ! Il aimait bien ce garçon !


Cette petite lueur s’allumait de plus en plus souvent depuis que la boulangerie d’en face avait recruté une nouvelle vendeuse du doux nom de Livia. Elle lui faisait un large sourire et les yeux doux dès qu’il franchissait la porte de la boutique. Ses cheveux couleur miel et ses grands yeux mordorés lui faisaient tourner la tête. De ce fait, il était de plus en plus motivé pour aller travailler, puisque ses pas le conduisait irrémédiablement à la boulangerie avant de franchir le seuil de la porte de la lutherie..


Ce matin-là, Livia l’accueillit en lui tendant une enveloppe, son cœur fit un bond dans sa poitrine, et de sa voix si douce lui dit que Mr Paolino avait dû s’absenter pour la matinée et l’avait priée de lui remettre ce pli. Après un merci de circonstance, Djibril traversa la chaussée sans regarder et pénétra dans la lutherie ; quelque peu inquiet, il ouvrit l’enveloppe.


En quelques lignes, Monsieur Paolino, lui expliquait qu’il avait eu une importante commande spéciale de violons pour l’Opéra Garnier et qu’un client privé voulait qu’il restaure un stradivarius. Il le chargerait de cette restauration qui serait aussi l’épreuve de son examen final. Djibril resta pantois sur sa chaise, il n’osa plus bouger. Etait-ce un rêve ou un cauchemar ? N’allait-il pas décevoir Mr Paolino qui s’était pris d’affection pour lui, qui le considérait même comme son propre fils. Mr Paolino qui avait mis en lui sa confiance et lui transmettait tout son amour du métier. Il était temps de s’enfuir, il ne serait jamais à la hauteur, même s’il était conscient qu’il avait fait d’énormes progrès et que son humeur avait changé, la vie lui paraissait plus belle. Revenir au point de départ et tout laissé tomber s’imposa à lui, mais fut chassé par la vision du sourire de Livia. Il se mit debout d’un coup en criant de toute ses forces : JE RESTE. Et c’est à ce moment que la porte s’ouvrit laissant apparaître le visage interloqué de Monsieur Paolino.


- Au travail sans perdre de temps ! dit ce dernier en tapant dans ses mains, et la journée reprit son cours normal. Djibril ne comptait plus les heures qu’il passait à l’atelier tant sa tâche lui tenait à cœur. Monsieur Paolino ne disait mot et secouait la tête avec un sourire mystérieux.


Au fur et à mesure que la restauration avançait, Djibril passait de plus en plus de temps sur l’instrument jusqu’à en connaître les moindres détails, travaillant avec minutie et respect, le touchant avec délicatesse comme s’il s’agissait de sa bien-aimée sous le regard de Monsieur Paolino, fier de découvrir que son élève était un être d’exception avec des doigts de fée.


Un jour, Monsieur Paolino prétextant un rendez-vous important à 100 km de la lutherie, laissa seul son apprenti avec une tâche précise à exécuter sur le stradivarius. C’était un moyen de vérifier que son protégé savait être autonome. Djibril, conscient de sa responsabilité, retira le violon de son étui, avec délicatesse, il en caressa le bois, pinça doucement les cordes, ressentit toute l’histoire qui s’y cachait…


Soudain, il fut saisi par un étrange sentiment fait tout à la fois de joie intense et de mélancolie, il était perdu. Il déposa le violon sur la table et ce sentiment le quitta. Il se dirigea vers la presse verte pour prendre les ciseaux à bois qui s’y trouvaient et commença à travailler sans jamais s’arrêter. Au retour de Monsieur Paolino vers 22 heures, trouva Djibril, allongé sur le dos, sur l’établi, à l’endroit où il posait d’habitude les ciseaux. Il semblait dans un autre monde avec un sourire béat sur les lèvres, les yeux tournés vers le plafond le stradivarius posé à ses côtés entièrement rénové. Monsieur Paolino l’appela deux fois par son prénom, sans obtenir de réponse ; Djibril semblait planer. Puis il se redressa d’un bond, s’assit sur le bord de l’établi et se mit à parler, parler longuement, parler de musique, de théâtre et de danse. Il semblait être en grande conversation avec quelqu’un qui lui donnait des conseils pour mieux tirer profit de cet instrument extraordinaire qu’il avait à ses côtés. Monsieur Paolino, ébahi, n’osait plus bouger. Djibril soudain se saisit du violon, comme pour obéir à un ordre, respira un bon coup et fit vibrer cet instrument ; La musique qu’il exécutait était sublime, la mélodie vous transportait en vous laissant des larmes à l’œil. Elle se fit de plus en plus douce jusqu’à s’éteindre. Comme un automate, Djibril déposa délicatement le violon sur l’établi, et se retournant, il s’affala lourdement sur le sol.


Un mois plus tard, il se réveilla à l’hôpital. Les médecins ne pouvaient expliquer le mal qui l’avait frappé. Aussi attendaient-ils avec Mr Paolino et le client privé qu'il leur explique ce qu’il avait vécu et ressenti pour essayer de comprendre ce qui lui était arrivé.


Djibril leur raconta sa journée. Dès qu’il avait pincé les cordes du violon, il s’était retrouvé dans une autre époque, il avait pu converser avec Arcangelo Corelli, célèbre violoniste et chef d’orchestre qui dirigeait 150 musiciens, ce dernier s’entretenait avec Alexandro Scarlatti, violoniste de son état ; Puis il avait rencontré Antonio Stradivarius en personne qui lui avait donné des conseils au sujet du violon qu’il était en train de restaurer et poussé par Corelli, il avait à son tour oser se saisir du violon pour jouer une mélodie, lui qui n’avait jamais jouer du violon de sa vie.


Le client privé se frappa le front et tomba sur la chaise qui était à ses côtés en s’écriant :


-  Ciel, il me l’avait bien dit !


-  Dit quoi ? explosa Antonio Paolino.


-  Que le violon était possédé, et qu’il ne devait pas être utilisé, sinon…… 


-  Sinon, quoi ?


-  Non je ne vous le dirai pas, mais je vais le reprendre de ce pas et le remettre là où il n’aurait jamais dû sortir.
Et sur ce il se leva d’un coup et disparut dans la nuit sous les yeux éberlués de Djibril, d’Antonio Paolino et des médecins.


Djibril put retourner à la lutherie pour poursuivre sa formation, il repassait dans sa tête cette étrange histoire et demeurait rêveur, mais le sourire de Livia le ramenait bien vite à la réalité. Pour sa part, Monsieur Paolino ne disait mot, comme si cet épisode n’avait jamais existé, cependant il savait son élève hyper-sensible et fort doué, il ne doutait pas de sa réussite dans cette voie qu’il avait empruntée et sa fierté était grande.

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